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Cetanā, au regard du Sahaja                   

intention ou intentionnalité

Credo du Sahaja
Petit rappel

Apparence et vide co-émergent (a).
Connaissance et vide co-émergent (b).
Au « contact » (sct. sparśa) d’apparence et connaissance,
Toute « expérience » (sct. vedanā) est co-émergence félicité-vide (c).

(a) Nang Tong : (b) Rik Tong : (c) Dé Tong.

Cetanā

L’agrégat ré-activité (sct. samskāra) se compose de cinquante-et-un facteurs mentaux (tib. sèm djoung) qui s’élèvent à l’esprit (sct. citta, tib. sèm). Celui qui nous concerne ici se dit en sanscrit « cetanā » (tib. sèm pa) (1) qui est couramment traduit par « intention » parfois par « intérêt » ou « volition ». Je préfère personnellement le traduire par intentionnalité.

Dans l’agrégat ré-activité, cetanā est l’un des cinq facteurs mentaux omni-fonctionnels (tib. kun dro) : contact, expérience, entendement et activité mentale. Les cinq facteurs mentaux omni-fonctionnels sont, en quelle que sorte, les cinq éléments vitaux qui constituent le moteur de l’agrégat ré-activité. Avec toute votre indulgence, je tenterai d’illustrer ceci en le comparant avec le système informatique. À quelque chose près, la carte mère serait l’intentionnalité, les bus seraient les contacts, le processeur serait l’activité mentale, la carte graphique serait l’impacte de la sensation et la mémoire vive serait l’entendement. Bref ! Ce qu’il faut retenir c’est que l’omni-fonctionnalité de ces facteurs mentaux ne nécessite pas d’actes mentaux, mais caractérise des fonctions et des aptitudes inhérentes à la faculté même de connaître.

Intention

Le terme « intention » définit mal la fonction de ce facteur mental « cetanā ». Au sens familier « intention » (2) est une délibération mentale, une décision prise ou à prendre, qui induit une certaine orientation après jugement du « pour ou contre » à l’égard de son objet. Ce n’est pas la définition qui convient au facteur mental qui nous concerne ici. De même le terme « volition » qui est un acte de volonté relève d’une décision occasionnelle pour diverses raisons et aspirations dans un instant et pour un objet donnés. Cela ne convient pas à la caractéristique omni-fonctionnelle de ce facteur mental cetanā.

De plus, le terme « intention » s’accompagnant d’une connotation négative (il y a des mots comme çà qui n’ont pas bonne réputation : mental, ego, jugement, moi) ajoute une confusion. En effet, certaines personnes souhaiteraient ne plus avoir à s’attribuer d’intentions et attendent de l’Éveil qu’il soit l’extinction de toute intention et de tout type de rapport à soi. Une sorte d’idée de perfection qui se rapprocherait plus d’un état vaporeux baigné dans un grand Tout cosmique. Cette confusion risque fort de fausser notre aspiration et notre approche de la méditation. Il serait important d’analyser ce que l’on craint chez soi pour aller jusqu’à espérer une automutilation de certaines fonctions mentales.

Que ce soit le jugement, l’intentionnalité, la sensation etc… toutes ces aptitudes mentales ne posent pas de problème et il n’y a pas lieu de s’en soustraire. C’est la soif, la saisie, l’espoir-crainte et leur code discriminatoire qui posent problème et dont il faut se libérer. C’est comme un virus informatique qui cause le disfonctionnement d’un logiciel. Ce n’est pas le logiciel qui pose problème. Sans l’inquiétude de la soif, l’intentionnalité se met au service de l’empathie à l’autre. Sans l’égocentrisme de la soif, l’entendement se livre à la compréhension de l’autre. Sans l’insatisfaction de la soif, la sensation s’ouvre à la félicité… Nirvana, la Paix, est l’extinction de la soif et cette soif est fatigante parce que constamment confrontée à son inefficacité qui prend pour preuve « doukha » nos contrariétés existentielles.
De la même manière que toutes les fonctions biologiques de notre corps physique sont nécessaires, utiles et informatives, nos fonctions psychologiques le sont également ; nécessaires, utiles et informatives. Le corps et la conscience sont deux écosystèmes merveilleusement pertinents et disponibles à notre intelligence. Que ce soit l’information à laquelle on agrée ou à laquelle on désagrée, elle est l’avènement d’une finalité inhérente à ces écosystèmes. Que ce soit un mal de dent ou un plaisir que produit notre système nerveux, que ce soit un regret, une honte ou une fierté que produit notre jugement, toutes ces informations se doivent d’être soit « agréable » ou « désagréable ». Qu’un regret soit désagréable c’est fait pour et qu’on y désagrée signifie que notre jugement de conscience fonctionne bien. Le contraire serait inquiétant pour notre devenir karmique. C’est en cela que l’on doit se juger ; non pas selon ces actes mais selon ce que l’on pense de ces actes qui ont été faits ou sur le point d’être faits ou à faire.
Quand on dit que l’être aspire au bonheur, il faut comprendre que cette aspiration participe de cette finalité inhérente à notre conscience. Faisons lui confiance, elle saura nous informer quand nous ne serons pas conforme à sa finalité. Il n’est donc pas nécessaire de chercher du bonheur mais d’être à son écoute et de gagner en lucidité jusqu’à l’Éveil.

 

Asanga

Intentionnalité

Citta (tib. sèm), qu’on traduit par esprit, est l’une des trois instances (3) d’un être qui désigne la faculté cognitive et ses fonctions psychiques ; un écosystème cognitif avec un processus d’organisation idéelle. Cetanā (tib. sèm pa) désigne une « fonction qui consiste à diriger l’esprit (sct. citta, tib. sèm) dans le domaine des processus mentaux (sct. manaskarma) favorables, défavorables ou neutres » (Asanga, Abhidharmasamuccaya).

Il me semble donc que le terme « intentionnalité » (4) est plus approprié pour évoquer cette qualité omni-fonctionnelle de cetanā (tib. sèm pa) alors qu’intention, qui suppose un acte mental certes justifiable, relève plus du contenu intentionnel en rapport à son objet et sur lequel on pose un jugement.
Cette intentionnalité est une disposition omni-fonctionnelle naturelle (sahaja) de l’esprit « de se rendre en » disponibilité à tout contact (sct. sparśa, tib. rèk pa) (5) et non pas « d’aller vers » un objet, qui est du ressort de l’activité mentale (sct. manaskāra, tib. yid la djé pa).

Sans cette intentionnalité, l’esprit serait lettre morte parce qu’il n’y a rien de réel qui vient à l’esprit. Il faut donc bien une fonction qui rend possible la co-émergence (6) d’un connu et d’une connaissance. Cette co-émergence rendue possible est la base de l’activité mentale (sct. manaskāra) pouvant focaliser l’objet idéelle (phénomène, apparence).

Ainsi, dès lors que le contact (sct. sparśa) délivre une apparence mentale à l’esprit disponible (7), leur compatibilité de nature permet à l’activité mentale (sct. manaskāra) de focaliser (sct. sam) (attention) l’objet idéelle. Si la soif ne s’approprie pas cet instant focal (sct. sam) de l’expérience-sensation (sct. vedanā), l’entendement (sct. sam-jna) discerne la nature manifeste et idéelle de l’objet, co-émergence de clarté-vide. Ce déroulement idéal de l’esprit libre d’espoir-crainte décrit ce qui doit être appliqué dans la méditation de samatha-vipassana du Sahaja-mahamoudra.

Omni-fonctionnalité

On parle d’omni-fonctionnalité dans le sens où les cinq facteurs mentaux en question ne sont pas des actes distincts de l’esprit-base. Ce sont des fonctions inhérentes à la faculté cognitive : fonctions et faculté co-émergent. Ce ne sont pas des agents délibérés et délibérants et ne nécessitent aucune volition. L’activité mentale (sct. manaskāra) suggère une délibération à la sensation et à l’entendement mais ne sont pas des actes mentaux délibérés et délibérants. La délibération, induite par l’activité mentale, gère jugement et intention au regard des cinquante-et-un facteurs mentaux de l’agrégat ré-activité.

Ainsi la faculté cognitive (esprit) dispose de sa propre « finalité », sans acteur ni objet défini. Une finalité qui participe de la nature même de la « science » (sct. jna, tib.shé). Reste à l’individu le challenge d’exaucer la spontanéité (tib. lhun gyi droup) de cette finalité tout en exerçant son libre arbitre sur les actes mentaux (volonté, aspiration, intention, jugement etc.) selon le rapport à leur objet.

Une fois libre de la soif et de ses illusions, cette finalité se révèle être celle de la Bodhicitta (tib. Djang Tchoub Sèm) innée, co-émergence vacuité/compassion. En attendant, cette finalité inhérente à la conscience suscite nos interrogations sur le sens de l’existence, sur nos aspirations. Elle nous fait ressentir dilemme et cas de conscience. Cette finalité/intentionnalité est ce qui nous permet de se trouver un jour ou l’autre conforme à notre nature innée, la Bodhicitta.

Dans le domaine tantrique, les cinq facteurs omni-fonctionnels sont de la nature omniprésente des cinq Dhyanis Bouddhas.
L’intentionnalité : famille bouddha
L’activité mentale : famille karma
Le contact : famille vajra
L’expérience (sensation) : famille ratna
L’entendement : famille padma

Tableau des cinq Dhyanis Bouddhas
Cycle Mandala Tantra

Tableau

Notes

(1) Cetanā et citta partage la même racine « « cit »

(2) Du latin intentio : action de tendre ; application de la pensée, attention ; effort vers un but, intention ; intensité.

(3) Tout individu (être), quel que soit sa sphère d’expérience ou son bardo, que ce soit un être illusionné (samsara) ou éveillé, se définit par trois instances, une dynamique indivise : corps (véhicule), verbe (souffle) et esprit.

(4) Un terme cher aux phénoménologues.

(5) Le contact (sct. sparśa, tib. rèk pa) est le facteur mental omni-fonctionnel qui rend compatible à la conscience mentale une apparence (phénomène) d’ordre mentale en la co-émergence de la triade : objet, organe (tib. ouang tèn) et faculté (tib. ouang po).

(6) CF. Credo du Sahaja

(7) Les six groupes d’intentionnalité : 1) l’intentionnalité se disposant au contact de forme, œil et vue. 2) l’intentionnalité se disposant au contact de son, oreille et ouïe. 3) l’intentionnalité se disposant au contact de odeur, nez et olfaction. 4) l’intentionnalité se disposant au contact de goût, langue et gustation. 5) l’intentionnalité se disposant au contact de tact, corps et toucher. 6) l’intentionnalité se disposant au contact de connaissable, mental et pensée.

Les six types d’apparences (connaissables) : 1) apparence de visualité (ou de son absence). 2) apparence d’audibilité (ou de son absence). 3) apparence d’olfactivité (ou de son absence). 4) apparence de saporité (ou de son absence). 5) apparence de tangibilité (ou de son absence). 6) apparence mentale (ou de son absence).
Exemple : le son (onde vibratoire inaudible) est de la compétence organique de l’oreille qui induit la faculté d’ouïe dont leur co-émergence qu’est le « contact » offre une apparence idéelle (phénomène) audible (connaissable) compatible à la compétence cognitive de l’esprit qui s’exprime sous l’aspect (sct. vi, tib. nam) auditive à la science (sct. jna, tib. shé).